Bien-être

Être enceinte après l’anorexie

Être enceinte après avoir vaincu un trouble du comportement alimentaire est une chose merveilleuse et troublante à la fois. Tous les jours, ça me replonge dans mes souvenirs et me rappelle le grand bout de chemin que j’ai fait, puis celui qu’il nous reste à parcourir.

Je dis « nous » parce que si mon poids était une obsession pour moi dans le passé, j’ai l’impression qu’il devient celui des autres aujourd’hui. Depuis qu’une petite personne pousse dans mon ventre, mon corps est examiné et jugé sans retenue ni censure. Tout le monde se donne le droit de commenter mon poids parce que je suis enceinte, et ce, partout.

On me parle de ma bedaine, de sa forme et de sa grosseur, on me dit de faire attention à ne pas trop me « gâter » parce que « c’est moins drôle après l’accouchement », on me dit que je devrais prendre plus de poids, on me dit que je devrais manger plus ou manger moins, on me dit de m’entraîner, on me dit de me reposer, on me dit que je suis plus belle depuis que je suis plus ronde, on me dit à la blague (ou pas) que bientôt je vais être grosse, on me dit que j’ai changé, on me dit que j’ai l’air fatiguée, on me dit ça, on ne me dit rien.

Je ne parle pas ici de ma famille ou de mes amies qui, avec beaucoup d’amour, admirent la place que prend mon enfant dans mon ventre. Ça, c’est beau et c’est grand. Je ne parle pas non plus des gens dans la rue qui me regardent et me voient pour ce que je suis. Ça aussi c’est beau.

Je parle plutôt de ces commentaires superflus qu’on se permet de passer à voix haute parce que porter la vie rime avec grossir.

J’aurais imaginé qu’on me regarde plus souvent les yeux que le nombril à l’annonce de ma grossesse parce qu’honnêtement, la santé de mon enfant dépend beaucoup plus de mon état psychologique que de la grosseur de mon ventre. Et c’est comme ça pour tout le monde.

J’aurais imaginé qu’on me demande plus souvent comment mon mari va dans tout ça, plutôt que de me demander si j’ai des rages de bouffe étranges.

Et ceux qui lisent ces quelques lignes et qui me trouvent lourde se demandent probablement si c’est vraiment nécessaire de toujours se parler en profondeur et d’aller au fond des choses pour qu’une femme enceinte se sente bien, et je leur réponds que non. Cela dit, j’ajouterais qu’il est préférable de se taire plutôt que de parler pour ne rien dire.

Heureusement, pour en revenir à moi-même, je me sens solide comme jamais. J’entends les gens me passer des commentaires, mais je ne les écoute pas parce que la seule chose à laquelle je pense, c’est à la chance que j’ai de pouvoir porter un enfant, et ce, malgré tout ce que j’ai fait subir à mon corps, malgré ces longs mois à ne pas avoir de menstruations tellement j’étais faible, malgré ces années à ne pas être psychologiquement apte à fonder une famille.

J’aimerais pouvoir leur expliquer à quel point leurs commentaires sont futiles, mais ce serait lourd, alors je me détache, et ça se passe relativement bien pour moi.

Par contre, je sais que ce n’est pas le cas pour toutes les femmes. Je sais maintenant que la pression extérieure et le regard des gens sont si forts durant la grossesse (et je n’imagine pas après) que les problèmes et les angoisses sont susceptibles de refaire surface facilement. Et ça me fait quelque chose pour toutes celles qui sont un peu plus vulnérables et dont l’attention est détournée de l’essentiel.

Alors, je m’adresse à vous directement. Peu importe que vous ayez à faire face à des commentaires mesquins ou tout simplement à des gens naïfs et maladroits sans pour autant être mal intentionnés (parce que ça arrive souvent), n’oubliez surtout pas que la seule chose qui compte, c’est votre santé et celle de votre bébé.

Mangez à votre faim et de manière équilibrée (dans mon langage, ça veut dire de porter une attention particulière à votre santé, mais aussi de vous gâter). Mettez vos limites. Refusez des invitations quand vous vous sentez fatiguée. Dites-le quand vous n’avez pas envie de vous faire toucher le ventre. Consultez si jamais vous en avez besoin. Parlez à votre conjoint autant que possible parce que vous représentez probablement la seule chose concrète qui puisse l’aider à réaliser qu’il deviendra père. Et ne m’écoutez pas, si jamais ce que je dis ne résonne pas pour vous.

Écoutez-vous, votre bébé, et votre chum.